La chute de la valorisation des biotechs depuis trois ans a déclenché une frénésie d'acquisitions des deux côtés de l'Atlantique. Depuis novembre, le secteur a rebondi en Bourse aux Etats-Unis. Seul bémol : ses financements se sont encore raréfiés en 2023 selon une étude d'EY réalisée pour le panorama annuel de France Biotech.
La fin du tunnel est-elle en vue pourles biotechs, après trois ans d'effondrement boursier et de tarissement des financements ? La chute de leur valorisation a aiguisé l'appétit des investisseurs et des grands laboratoires pharmaceutiques. Ceux-ci sont à la recherche de médicaments innovants pour compenser les 150 milliards de dollars de chiffre d'affaires que les Big Pharmas vont perdre d'ici à la fin de la décennie quand leurs médicaments seront devenus généricables.
Des deux côtés de l'Atlantique, « 2023 a été une année record, avec 122 milliards de dollars de transactions, ce qui est le deuxième montant le plus important depuis 2008, et 22 transactions de plus d'un milliard de dollars, un record depuis 2008 », souligne Eugenio Martin-Fougeroux, gérant spécialisé dans les biotechs chez Pictet pour qui « ça va continuer » vu leur fort rebond en Bourse outre-Atlantique. Depuis novembre 2023, l'indice Nasdaq Biotechnology (221 valeurs) a grimpé de 22,6 %.
2.660 PME innovantes
Cela a permis au Nasdaq Biotechnology de finir 2023 dans le vert (+3,7 %), contrairement à l'indice européen (-6 % pour l'indice Next Biotech). En particulier, la purge a continué pour les biotechs françaises, qui avaient gagné +208 % en 2020. Elles « ont terminé 2023 en baisse moyenne de 26,4 % après avoir déjà perdu 45,6 % en 2022 et 9,6 % en 2021 », résume le site BiotechBourse.
Le rebond américain gagnera-t-il l'Europe cette année ? Un signal est toujours au rouge dans le secteur, objecte l'association France Biotech dans son panorama annuel : les financements des PME innovantes de la santé se sont encore raréfiés l'an dernier.
La France comptait à la fin de l'année dernière 2.660 PME innovantes en santé ou healthtechs, dont 1.393 medtechs concevant des dispositifs médicaux (-50 en un an), 820 biotechs développant des médicaments et 450 PME de numérique en santé et intelligence artificielle (+50 en un an).
C'est la santé numérique qui grimpe le plus vite, avec un nombre de sociétés qui a plus que doublé depuis 2019, mais il y a aussi 20 biotechs de plus depuis 2023, en solde net des disparitions. Reste que « 39 liquidations judiciaires ont été enregistrées l'an dernier. C'est un signal inquiétant », juge Franck Mouthon, président de France Biotech.
Maturité croissante
Selon le panel d'environ 500 sociétés interrogées fin 2023 par France Biotech (il n'existe pas de chiffres sur l'ensemble du secteur), 45 % des healthtechs ont moins de 5 ans. Mais le secteur gagne en maturité. L'âge moyen des sociétés y est de 9 ans, un tiers a plus de 10 ans et « le nombre d'entreprises de plus de 100 salariés augmente », souligne l'association.
Cette maturité croissante n'a toutefois pas empêché la baisse des financements, déjà marquée en 2022, de se poursuivre en 2023, selon l'étude réalisée par EY pour ce panorama. Les healthtechs n'ont levé l'an dernier que 23,7 milliards d'euros, soit « une baisse de 19 % et le niveau le plus bas de ces six dernières années, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe », souligne EY. On est loin des 55 milliards levés lors de l'exubérante année 2021.
Le capital-risque s'est encore réduit de 25 % en un an. Il n'a financé le secteur en Europe et aux Etats-Unis qu'à hauteur de 20,9 milliards d'euros l'an dernier, au plus bas depuis six ans. Seul segment où il augmente : les biotechs européennes. La France arrive en tête des pays d'Europe continentale attirant le plus les fonds de capital-risque (1 milliard) suivie de la Suisse (0,6 milliard) mais le premier pays (non continental) reste le Royaume-Uni (1,4 milliard d'euros).
Medtech boudées
Les medtechs sont boudées, même aux Etats-Unis, où seules deux ont levé plus de 100 millions d'euros (elles étaient 7 dans ce cas en 2022) : la société d'implants cérébraux d'Elon Musk, Neuralink (295 millions), et la spécialiste des tests cardiaques HeartFlow (197 millions).
Les financements vont désormais aux sociétés de santé plus matures. En témoigne la hausse de 16 % l'an dernier du financement secondaire de la santé par les marchés financiers, à 27 milliards d'euros, dont 6,2 milliards pour les sociétés européennes (+51 % en un an).
Autre source de financement des PME innovantes, les introductions en Bourse sont restées à un montant faible. Même s'il a bondi de 69 % en un an, il n'est que de 2,9 milliards, contre 22,6 milliards en 2021.
Seules les sociétés les plus matures tentent une cotation. De ce fait, les IPO ont été moins nombreuses aux Etats-Unis l'an dernier (seulement 15) « mais les montants levés ont été plus conséquents, avec 6 opérations de plus de 200 millions de dollars », remarque EY. La palme revient à la biotech américaine Acelyrin, spécialisée dans l'immunologie, qui a levé 621 millions de dollars en mai 2023. La française Abivax, cotée à Paris depuis 2015, a pu lever 235 millions de dollars à son entrée au Nasdaq au quatrième trimestre.
Retour des IPO
En Europe c'est plus dur, « tant biotechs que medtechs ne voient pas le marché des introductions en Bourse se réouvrir », observe EY. Un dégel n'est toutefois pas impossible ce printemps vu le regain d'appétence des investisseurs. Outre-Atlantique, le rebond boursier offrant une fenêtre de tir, le rythme des IPO s'est fortement accéléré depuis janvier 2024.
Et le reste des signaux est au vert. Sur le panel de healthtechs françaises étudié par France Biotech, « le niveau de trésorerie s'améliore. 38 % des entreprises rencontraient des difficultés fin 2023 contre 52 % fin 2022 », note France Biotech. Et les effectifs ont progressé de 4 % l'an dernier. Le panorama fait ressortir un effectif moyen de 31 employés par société et « montre une forte croissance des effectifs : +18 % entre 2021 et 2023 ! » salue le ministre de l'Industrie, Roland Lescure.
L'an dernier, « les trois quarts des sociétés ont recruté […], avec en moyenne 6 nouveaux salariés par entreprise », commente l'association. Surtout, « en 2024, la croissance des emplois de la filière devrait se poursuivre, 82 % des sociétés comptant recruter ».
Myriam Chauvot