Le record du médicament le plus cher au monde a été battu cette semaine avec le feu vert aux Etats-Unis d'un nouveau produit. Le prix des médicaments innovants ne cesse de grimper, les records s'enchaînent et il s'agit, à chaque fois, de thérapies géniques.
En santé comme ailleurs, l'innovation se paye et elle coûte cher. Elle coûte même de plus en plus cher. Le record du médicament le plus cher au monde vient d'être battu, quand les autorités de santé américaines ont approuvé la commercialisation du Lenmeldy, un nouveau médicament pour une maladie ultra-rare, au prix officiel de 4,25 millions de dollars l'injection.
Le Lenmeldy, développé par la biotech Orchard Therapeutics, bat le précédent record établi par Hemgenix, un traitement de l'hémophilie B du laboratoire CSL Behring, coté à New York. Hemgenix, qui coûte en « prix catalogue » aux Etats-Unis 3,5 millions de dollars l'injection. C'est toujours un prix à l'injection car ces deux médicaments ont un trait commun : il s'agit de thérapies géniques.
Doublement de prix
Ces thérapies ont toutes le même principe : guérir définitivement une maladie en une seule injection. Elles se substituent à un traitement dans la durée et signifient un changement de paradigme (et de prix) auquel il va falloir s'habituer. On en avait eu un avant-goût quand a été autorisé en 2019 le Zolgensma du laboratoire suisse Novartis. Il était à l'époque le médicament le plus cher au monde, à plus de 2 millions de dollars l'injection. Cinq ans plus tard, celui que viennent d'approuver les Etats-Unis coûte le double…
Le chemin parcouru par le pionnier qu'est le Zolgensma montre pourquoi les Etats-Unis disent banco sur les thérapies géniques. Le Zolgensma soigne l'amyotrophie spinale ou « SMA », provoquant la perte de la fonction musculaire chez les enfants. En France, la SMA concerne une centaine de naissances par an.
Le Zolgensma ne peut pas réparer les dégâts déjà causés aux muscles mais il les stoppe net et définitivement. D'où l'importance d'injecter les bébés le plus tôt possible post-naissance, donc d'inclure la SMA dans les diagnostics néonataux systématiques. Sinon, même injectés, ils garderont un handicap musculaire irréversible.
Accès précoce
Malgré les demandes de l'AFM-Téléthon et contrairement à d'autres pays européens, jusqu'à présent la France s'est refusée à un dépistage des nouveau-nés. Mais malgré ce refus, les Français ont accès au Zolgensma. Début 2023, une soixantaine de bébés français en avaient bénéficié (3.000 au niveau mondial) et on en est aujourd'hui à une centaine.
Ils ont reçu la précieuse injection à un prix inconnu, car en France, les négociations sur le prix ne sont toujours pas terminées entre Novartis et l'Etat (le comité économique des produits de santé). Les bébés ont été injectés grâce au régime de « l'accès précoce », mis en place pour accélérer l'accès aux médicaments innovants. Novartis prend son risque sur le prix qui sera peut-être, au final, inférieur à celui demandé pour l'accès précoce.
De toute façon, l'addition sera lourde pour l'Etat, vu le prix de l'injection. Il va falloir s'y habituer car les thérapies géniques arrivent. Selon le Leem, qui est le syndicat professionnel des entreprises du médicament, il y avait déjà 9 thérapies géniques in vivo autorisées aux Etats-Unis et/ou en Europe fin 2023 (le Lenmeldy s'y ajoute), auxquelles s'ajoutent 12 thérapies ex vivo modifiant les gènes (des thérapies cellulaires telles les « CAR-T Cell » pour les leucémies) et bien d'autres thérapies innovantes sont en cours de développement.
Dépister à la naissance
L'addition s'annonce salée. Avec quelques bémols. D'abord, post-remises (confidentielles) des laboratoires, le prix réel dans les pays européens est toujours inférieur au prix officiel américain. Surtout en France, réputée être le pays le plus dur en négociations.
Deuxième bémol, les thérapies géniques concernent (au moins pour l'instant) des maladies rares, voire ultra-rares dans le cas du Lenmeldy qui concerne, selon Orchard Therapeutics, moins d'une quarantaine de naissances par an aux Etats-Unis (en l'occurrence des bébés nés avec la « leucodystrophie métachromatique », un déficit d'enzymes entraînant paralysie, démence et troubles nerveux).
Troisième bémol, si un dépistage néonatal est adopté en France pour éviter que les bébés conservent à vie des dommages irréversibles, les thérapies géniques feront disparaître le coût de prise en charge à vie des handicaps liés aux maladies génétiques. Les économies réalisées, assurent les laboratoires comme Novartis, sont bien plus importantes que le prix facial de l'injection, qui n'a lieu qu'une fois.
Paiement à la performance
C'est vrai si la guérison est définitive. Or on manque de recul pour le moment sur les thérapies géniques. Pour ne pas payer un prix stratosphérique et s'apercevoir qu'il y a rechute cinq ans ou dix ans après l'injection, en 2022, la France a fait passer une mesure permettant un paiement fractionné à la performance. Cette dernière sera jugée dans la durée.
Reste que l'adaptation des systèmes de santé à ces prix inédits a une limite : le jour où les thérapies géniques concerneront une large partie de la population, pour des problèmes plus fréquents que les maladies rares, l'addition risque de devenir insoutenable hors assurances médicales privées (pour les plus aisés).
Ce n'est pas un scenario impossible : un article qui vient de paraître dans la revue « Molecular Therapy » donne les résultats d'un essai chez le rat, selon lequel la thérapie génique réduit les troubles sensori-moteurs (douleurs, raideurs…) post-traumatisme de la moelle épinière dans le cas d'accidents de la route ou de chutes. Un cas qui concerne du monde.
Myriam Chauvot