Le Davos chinois qui se tient dans le sud du pays s'est doublé d'une réunion de nombre de dirigeants de grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux dans la Capitale. Ils courtisent cet immense marché. Pour y investir sans indisposer l'Occident soucieux de souveraineté sanitaire, AstraZeneca veut avoir une production par continent.
Ménager la chèvre et le chou, investir toujours plus en Chine sans risquer un retour de flammes de l'Occident inquiet de sa souveraineté sanitaire perdue : c'est une voie étroite mais qui n'effraie pas les géants pharmaceutiques. Pendant qu'aux Etats-Unis, des parlementaires tentent de faire passer une loi « Biosecure » empêchant les gros acteurs chinois de bénéficier des commandes fédérales américaines de médicaments, Pfizer et AstraZeneca ont rappelé, par des déclarations enthousiastes, leur engagement en Chine.
En marge du « Davos » chinois qu'est le forum économique de Boao (dans le sud du pays), les directeurs généraux de nombre de grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux étaient réunis à Beijing pour le forum annuel du ministère du commerce destiné à attirer les investissements étrangers. AstraZeneca, Bayer, Bristol Myers Squibb, GSK, Novartis, Pfizer, Takeda… ils n'avaient pas été aussi nombreux dans une même réunion en Chine depuis la pandémie.
Attractivité chinoise
Le patron de Pfizer Albert Bourla s'est dit « encouragé par les opportunités de développer l'industrie biopharmaceutique en Chine ». Le pays veut une industrie de pointe, sortant des médicaments innovants, et ne plus être simplement un producteur de génériques à bas coût. Pour cela, il lui faut attirer les investissements étrangers dans des sites de bioproduction complexe et la Chine déploie depuis dix ans un plan d'attractivité.
La Chine offre aux laboratoires de commercialiser leurs médicaments innovants à un prix élevé sur son marché domestique, qui est énorme. C'est alléchant mais il y a une condition : il faut une part conséquente de production locale.
Accords de licence
C'est une stratégie industrielle très efficace. La preuve avec AstraZeneca. L'anglo-suédois fait partie des laboratoires qui ont répondu à l'appel. Il se développe en Chine à marche forcée. Sa dernière grosse opération, annoncée fin décembre, a été l'acquisition pour 1,2 milliard de dollars de la biotech chinoise Gracell Biotechnologies. Il l'a finalisée le 22 février via un véhicule d'acquisition aux îles Caïmans qui en fait sa filiale.
Avant cela, début novembre 2023, AstraZeneca avait mis un pied sur le juteux marché des traitements anti-obésité en achetant la licence pour les coupe-faim que développe la biotech chinoise Eccogene. Il y met 185 millions de dollars et cela montera à 2 milliards de dollars en cas de succès des produits.
200 programmes en R&D
Au total le géant anglo-suédois a investi 6 milliards de dollars depuis un an en accord avec des biotechs chinoises. Il investit également dans la construction d'usines et un centre de R&D à Shanghai qui sera parmi ses trois principaux centres R&D au monde. Dans un entretien à « Bloomberg », mercredi, Pascal Soriot a détaillé l'objectif local d'AstraZeneca qu'il dirige : que les 200 programmes de médicaments en cours de recherche et de développement de son groupe en Chine permettent de lancer des médicaments innovants pour traiter 100 pathologies d'ici à cinq ans.
De quoi susciter l'ire des Etats-Unis, où avec le texte Biosecure, des sénateurs veulent interdire que des fabricants pharmaceutiques chinois bénéficient des commandes publiques fédérales de médicaments, considérant que l'argent public américain n'est pas là pour enrichir les acteurs chinois et que les Etats-Unis doivent retrouver leur souveraineté sanitaire, sur fond de tensions géopolitiques croissantes.
Biosecure Act
En 2019, dans le cadre de ces tensions, des économistes chinois avaient suggéré que la Chine pourrait cesser d'approvisionner les Etats-Unis en médicaments… Pour couper le cordon, le Biosecure Act, s'il est voté, privera donc de commandes les gros fabricants chinois comme Wuxi AppTec et WuXi Biologics (un fournisseur d'AstraZeneca pour ses produits Covid).
Pour se développer en Chine malgré ces tensions, Pascal Soriot a exposé sa vision d'un (futur) dispositif de production mondial. Peu importe de quel centre R&D sort un médicament, il serait produit par plusieurs sites à travers le monde. « Nous nous organisons pour fournir les Etats-Unis et l'Europe indépendamment », a-t-il expliqué à « Bloomberg » depuis l'île de Hainan où se tient le forum Boao. De même, « nous construisons une présence en Chine pour fournir les patients chinois de façon indépendante ».
La souveraineté sanitaire étant une considération montante, AstraZeneca la retourne à son avantage : elle justifie ses actuels investissements de production en Chine. Reste à voir si l'Europe, qui n'a pour l'instant ni la carotte qu'offre la Chine, ni le bâton que promettent les Etats-Unis, obtiendra les mêmes investissements industriels que les autres continents.
Myriam Chauvot