Joe Biden a engagé une réforme pour faire baisser les prix des médicaments, trois fois plus élevés qu'en Europe ou au Canada. Les marges de manoeuvre restent nombreuses, entre intermédiaires opaques et dépenses publicitaires massives.
Maigrir n'est pas donné aux Etats-Unis : quatre semaines d'un traitement à l'Ozempic - le médicament star de l'année - est affiché à 969 dollars, quand il ne sera qu'à 190 dollars au Danemark, siège du laboratoire maison Novo, et même 86 dollars en Allemagne, rappelait récemment l'agence Bloomberg.
« Si vous entrez dans une pharmacie locale ici aux Etats-Unis, les prix sont au moins deux à trois fois plus élevés pour la même ordonnance fabriquée par la même société pharmaceutique au Canada, en France, en Italie et même en Europe de l'Est - partout dans le monde », rappelait Joe Biden début avril dans un discours de campagne.
Des chiffres confirmés par le ministère de la Santé : en 2022, « les prix américains des médicaments de marque étaient au moins 3,22 fois plus élevés que les prix pratiqués dans les pays de comparaison, même après ajustement pour tenir compte des rabais » négociés, indiquait un service du ministère en début d'année.
Plafonnement du reste à charge
Avec des laboratoires qui fixent librement leurs prix, le président américain a fait de ce dossier l'une de ses priorités. Il a obtenu une victoire symbolique sur le prix de l'insuline, avec un plafonnement à 35 dollars du reste à charge pour les patients à partir de 65 ans (pris en charge par le dispositif public Medicare). A partir de 2025, les dépenses personnelles des seniors pour leurs médicaments seront aussi plafonnées à 2.000 dollars sur l'année.
L'Inflation Reduction Act (IRA), qui comprenait un volet social, obligera aussi les laboratoires à verser des remises à Medicare s'ils augmentent les prix plus vite que l'inflation. En 2023, « plus de 4.200 produits pharmaceutiques ont subi des augmentations de prix, dont 46 % ont été supérieures au taux d'inflation », avec une hausse moyenne du prix des médicaments de 15,2 %, rappelle le ministère de la Santé.
Et le dernier volet des réformes engagées par Joe Biden pour réduire le prix des médicaments est plus structurel : il entérine, sur le modèle européen, le principe d'une négociation entre l'Etat fédéral et les laboratoires sur une gamme de médicaments financés par Medicare. Il est néanmoins déjà l'objet de contentieux juridiques.
Réforme des intermédiaires
La route reste longue. Dans les meetings de la campagne présidentielle ces derniers mois, des partisans d'une réforme des « PBM » tentaient d'attirer l'oeil des candidats. Ces sociétés de gestion des prestations pharmaceutiques ( « Pharmacy Benefit Managers »), qui négocient les prix avec les laboratoires et décident quels médicaments sont couverts, se financent par des commissions et sur les rabais qu'ils obtiennent des fabricants.
Des grands acteurs de la santé sont entrés sur ce marché, comme CVS Health, Cigna et United Health, et l'opacité de leur modèle reste critiquée. Quelques entreprises tentent maintenant de « disrupter » le système, et promettent transparence et prévisibilité aux patients. C'est le cas par exemple de Cost Plus Drug, cofondé par le médiatique serial entrepreneur Mark Cuban.
Parmi les freins à la baisse des prix, les tactiques des laboratoires pour protéger leurs brevets sont aussi régulièrement critiquées. La FTC, l'agence fédérale de la concurrence, vient de publier un rapport sur Teva, accusé d'avoir manoeuvré pour retarder l'entrée d'un générique concurrent de son produit contre l'asthme.
Deuxième secteur publicitaire
Si les laboratoires mettent en avant leurs investissements de R&D pour justifier des prix élevés, les investissements publicitaires pour promouvoir leurs produits directement aux consommateurs devant leur écran de télé ou au cinéma sont aussi massifs. « L'industrie pharmaceutique a récemment dépassé la tech pour devenir le deuxième secteur le plus important en termes de dépenses publicitaires en 2023, avec un bond de 17 milliards de dollars au cours des dix dernières années », indique la société d'études Kantar.
L'an dernier, le Skyrizi (contre le psoriasis) et le Rinvoq (eczéma) d'AbbVie ont pris les deux premières places du secteur sur le podium des plus fortes dépenses de publicité télévisée, avec 735 millions à eux deux. Un résultat payant : AbbVie vient de revoir à la hausse ses prévisions de revenus, à 21 milliards de dollars pour les deux médicaments en 2027.
Les prix élevés des médicaments aux Etats-Unis n'empêchent pas pour autant les pénuries. Elles sont même à un niveau record, avec 323 médicaments en quantité insuffisante, selon l'ASHP, une organisation de pharmaciens hospitaliers qui recense les manques depuis plus de vingt ans.
Pendant son mandat, Donald Trump, qui avait aussi fait de la baisse des prix des médicaments l'une de ses « plus hautes priorités », avait proposé comme remède l'importation de médicaments du Canada. Un projet qui avait fortement irrité Ottawa mais qui a suivi son cours.
Véronique Le Billon