La part des médicaments dans les dépenses de l'Assurance Maladie ne cesse de se réduire, reflétant des années de baisses de prix. L'Etat a promis des revalorisations mais l'industrie a fait ses comptes : à ce stade, la majorité des demandes déposées ont été refusées.
L'industrie pharmaceutique ne veut plus faire les frais du dérapage des dépenses de santé. Les prix des médicaments sont tombés trop bas et des revalorisations sont urgemment réclamées tant par les laboratoires pharmaceutiques que par le secteur des génériques. Tous dénoncent le fait que dans les dépenses de santé, les médicaments sont réduits à la portion congrue.
« Le chiffre définitif est sorti il y a quelques jours : le poste médicaments n'a augmenté que de 3,6 % en 2022 dans un total de dépenses d'assurance maladie en croissance de 6 % du fait d'autres postes qui augmentent beaucoup plus », s'insurge Didier Véron, le représentant du G5 Santé, qui rassemble les laboratoires français. « La part des médicaments dans les dépenses du budget de l'Assurance Maladie est passée de 11,7 % en 2010 à 8,9 % en 2023 », souligne le syndicat des laboratoires pharmaceutiques, le Leem. L'Etat a promis des revalorisations mais l'industrie a fait ses comptes : à ce stade, la majorité des demandes déposées ont été refusées.
Revalorisations
« L'innovation n'est pas mieux lotie que les génériqueurs, il y a un problème de fond sur le prix des médicaments, leur financement n'est pas à la hauteur des besoins des Français et du vieillissement de la population », prévient Audrey Derveloy, présidente de Sanofi France.
La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022 a ouvert la possibilité de revaloriser le prix des médicaments s'ils sont produits en France. Ils peuvent aussi bénéficier d'une augmentation de leur prix si les coûts ont tellement augmenté avec l'inflation que leur production est devenue déficitaire. Côté Etat, le Comité économique des produits de Santé (CEPS), qui octroie (ou pas) ces revalorisations, affiche une accélération : il a accordé 13 hausses de prix de médicaments au premier trimestre 2024 (génériques inclus), contre 24 sur l'ensemble de l'année 2023. « Mais pour rappel, il y a environ 500 baisses de prix chaque année, qui concernent environ 80 entreprises… », souligne Didier Véron.
Produire en France
Les médicaments les moins chers peinent à obtenir une augmentation de prix. « Les demandes de revalorisation des génériques sont en majorité faites au motif que la production d'un médicament n'est plus viable, le prix de revient dépassant le prix de vente. Environ 60 % de ces demandes sont refusées et pour celles acceptées, hors amoxicilline, l'augmentation de prix a été de seulement 0,6 centime le comprimé », indique Sébastien Trinquard, directeur général du syndicat des génériqueurs, le Gemme. Pour les génériques concernés, porter le prix moyen du comprimé de 0,162 euro à 0,168 euro, « ça ne suffit pas à rétablir un équilibre économique », souligne Sébastien Trinquard.
Les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas mieux lotis que les génériqueurs. « Les entreprises françaises du G5 Santé ont déposé en 2023 plus de 40 demandes, indique Didier Véron. Moins de 10 ont abouti, dont moins de 5 de manière satisfaisante », pour les autres l'augmentation est jugée marginale. L'Amlis, qui représente les PME du secteur, dénonce les blocages. « On dit vouloir revaloriser les médicaments fabriqués en France mais pour l'heure seuls les nouveaux produits y sont éligibles, au titre de la relocalisation. Si on est déjà localisé en France, on n'est pas éligible à une augmentation de prix ! Or fabriquer en France ça coûte plus cher que de fabriquer en Inde ou en Chine », dénonce la présidente de l'Amlis, Karine Pinon.
Ponction sur les ventes
Interrogé, le cabinet du ministre de l'industrie, l'assure, la revalorisation du Made In France avance. « Revaloriser les médicaments existants nécessitait une doctrine, on devrait l'avoir pour juin et on prévoit des hausses de prix dès 2024, financées par l'enveloppe souveraineté de 50 millions d'euros mise en place », indique le cabinet du ministre de l'industrie qui relativise la bronca du secteur : l'industrie du médicament doit renégocier cette année son accord-cadre avec le CEPS.
Reste que le problème du prix trop bas des médicaments est aggravée par une ponction sur le chiffre d'affaires du secteur, appelée « clause de sauvegarde », qui s'est envolée. Le secteur se rebelle contre cette dîme qui pénalise la croissance des ventes de médicaments. Le Leem demande de la ramener de 1,6 milliard d'euros par an à moins de 500 millions d'euros d'ici à trois ans.
Génériqueurs déficitaires
Mais c'est surtout certains génériqueurs, aux marges faibles, qu'elle fait tomber dans le rouge. « En 2022, la profitabilité moyenne du secteur des génériques est devenue quasiment négative et a plongé dans le rouge en 2023 », souligne Sébastien Trinquard. Les génériqueurs n'étaient pas assujettis à la clause de sauvegarde avant 2020, le Gemme réclame une exemption en rappelant que les ventes de génériques, 60 % moins chers que les médicaments sous brevet, font économiser 2 milliards d'euros par an en dépenses de santé.
Le système craque de partout, au détriment de l'attractivité de la France, préviennent les industriels en rappelant que l'Etat vise encore cette année 850 millions d'euros d'économies sur les médicaments, donc de nouvelles baisses de prix. « Au-delà du prix, le sujet, c'est la compétitivité versus les Etats-Unis et l'Asie en innovation, en production, et en accès aux médicaments. Il y a un écart entre l'ambition affichée et la réalité », prévient Olivier Laureau, président de Servier. Le ministre de l'industrie Roland Lescure reste optimiste : la semaine prochaine, il présentera à Bruxelles un manifeste pour amplifier les relocalisations au niveau européen.
Myriam Chauvot